Moto et publicité : re-créer des mythes, détourner des stéréotypes

Laurent Trèves

« Il portait des culottes, des bottes de moto
Un blouson de cuir noir avec un aigle sur le dos
Sa moto qui partait comme un boulet de canon
Semait la terreur dans toute la région »


Ces paroles extraites de la chanson d'Edith Piaf « L'homme à la moto » soulignent immédiatement une dimension essentielle de ce véhicule et son univers : la moto excite l'imagination et crée du désir chez celui qui la voit ; cheval des temps modernes, elle semble dégager une sorte d'aura composée d'une variété de représentations sociales qui font d'elle ce qu'elle est : un symbole de courage, de danger, de transgression, de liberté et mille autres valeurs encore, qui lui confèrent le charisme qu'on lui connaît et qui s'appliquent alors tout autant à son cavalier, le motard.
Il n'est donc pas étonnant que la publicité s'intéresse tellement aux motos et aux motards : dans la mesure où son but premier est de générer du désir pour un produit afin de pousser à l'achat, utiliser les symboles du désir par excellence semble aller de soi et représenter un atout commercial de choix. On a bien affaire ici, a priori, à l'emploi publicitaire d'un mythe, d'un « modèle parfait, type idéal représentant des symboles inhérents à l'homme ou des aspirations collectives », comme le suggère le Trésor de la Langue Française.
Cette notion de mythe nous semble particulièrement intéressante et fera l'objet d'un de nos questionnements centraux, à savoir : quelles représentations mythiques du monde de la moto la publicité utilise-t-elle, et jusqu'où peut-on considérer qu'au-delà de leur simple utilisation, la publicité participe aussi de la re-création constante de ces mythes, voire de leur détournement ? Il nous faudra pour cela nous fonder sur plusieurs exemples d'affiches et de vidéos publicitaires renvoyant à l'univers des motards, en distinguant celles qui visent à vendre des motos elles-mêmes et celles qui cherchent à mettre en avant d'autres types de produits.


I: Acheter une moto, acheter un mythe : la construction publicitaire d'un monde sans limites
a) La moto et le mouton

Parmi les représentations idéalisées et mythiques du monde de la moto, l'une des plus dominantes est celle selon laquelle rouler à moto permet de s'affranchir du carcan social, des normes étouffantes de « la société », de cet univers indifférencié où chacun n'est que l'ombre de lui-même, sans personnalité aucune. Acheter une moto mènerait alors, enfin, à exister comme individu pleinement conscient et autonome, libre d'agir comme il l'entend. Ces aspects sont mis très clairement en avant dans le spot publicitaire ci-dessous pour la célèbre marque Harley Davidson :
vidéo http://www.youtube.com/watch?v=sSY0nCuRhHA&list=PLAD326BC1F6DEFC04
Dans cette vidéo, le spectateur évolue dans un monde ouvertement manichéen visant à renforcer les oppositions entre les motards et "les autres", entre ceux qui vivent hors du "système" et ceux qui en seraient prisonniers. Cela est rendu très clairement par le détournement de l'image biblique de la brebis égarée: ici, le mouton noir qui s'échappe du troupeau dès les premières secondes et dont la couleur le distingue visuellement et symboliquement des autres est loin d'être perdu; au contraire, il sait précisément où il va, comme le montre la fin de la vidéo, il cherche ouvertement à quitter le monde littéralement grégaire dans lequel il évolue. Sa fuite implique un détachement symbolique des limites sociales, du cadre de pensée conventionnel dont seuls les possesseurs d'une Harley parviendraient à se distancier.
En ce sens, le moment où le mouton passe sous des barrières, vers la 13e seconde, est particulièrement significatif, de même que celui où les moutons noirs s'échappent du camion dans lequel ils sont enfermés, à la 18e seconde, sans que les moutons blancs ne semblent même comprendre la nécessité de s'enfuir. Dans toute la vidéo, les moutons blancs sont constamment immobiles, statiques, comme figés symboliquement par un système qui supprimerait leur volonté même d'agir, alors que les moutons noirs ne cessent de courir, d'être en mouvement, de connaître cette mobilité synonyme de liberté physique et sociale que la marque Harley cherche à incarner. Cette opposition binaire est par ailleurs renforcée par l'esthétique même du spot, tourné intégralement en noir et blanc, comme pour souligner, au niveau structurel, la radicalité de l'opposition symbolique présente thématiquement.
On peut enfin noter un dernier renversement binaire, dans la mesure où le spot commence dans un cadre rural pour se terminer dans un cadre clairement urbain: le retour aux sources suggéré par la vidéo est en ce sens lui aussi anti-conventionnel, ce qui est cohérent avec le message véhiculé (au sens propre!). C'est la ligne blanche discontinue de la route bien connue des motards et clairement visible à la 23e seconde qui sert de guide, littéralement de point de fuite vers l'univers des Harley qui attire irrésistiblement et sur lequel la publicité se termine. Ainsi, cette vidéo joue sur le mythe du motard anti-système, conscient de l'existence d'un enfermement social qu'il refuse, recherchant une liberté et une mobilité que seule la route peut lui procurer. Toutefois, ce spot ne fait pas que réutiliser des conceptions pré-construites, dans la mesure où la structure intégralement binaire de la publicité parvient aussi à renforcer une opposition nette entre les motards et le reste de la société. Cette vidéo, qui remplace les humains par des animaux, a donc une valeur de fable, que l'on pourrait, pour résumer, intituler symboliquement "le motard et les moutons".


b) L'espace de la route comme route vers l'Espace
Ce qui est alors à noter est que le refus d'un enfermement social a aussi son pendant mythique du point de vue plus littéral de l'enfermement spatial lui-même. De fait, la moto permet de transcender, semble-t-il, les limites de l'espace, de se rendre où l'on veut, sans connaître d'obstacle direct. Vendre une moto revient alors à vendre une approche de la liberté comme possibilité d'expérimenter la liberté elle-même en tant qu'absence physique de toute obstruction au mouvement. Ceci est très clair au regard de l'affiche publicitaire ci-dessous pour la marque Royal Enfield:

http://www.coloribus.com/adsarchive/outdoor/two-wheeler-motorbike-moon-9596105/

Sous l'aspect humoristique de l'affiche se cachent de nombreux éléments particulièrement intéressants pour notre questionnement sur le dépassement des limites. Tout d'abord, et de façon évidente, la scène présentée se passe sur la Lune, au vu de l'astronaute et du sol de la planète, lieu atteint, de façon assez surprenante, grâce à la moto présente dans le coin gauche de l'affiche. En plus de faire sourire, cela suggère que la moto donne littéralement accès à une expérience extra-terrestre des limites, permet de transcender des barrières géographiques et spatiales (dans les deux sens du terme) pour donner accès à ce qui resterait uniquement du domaine du fantasme sans cet engin. L'espace n'est plus un obstacle, il est le domaine illimité de l'expérience motocycliste.
A cela s'ajoute le fait que l'affiche est en réalité un pastiche d'une photo extrêmement célèbre du premier homme sur la Lune:

http://en.wikipedia.org/wiki/File:Buzz_salutes_the_U.S._Flag.jpg.

La position de l'astronaute, les traces de pas au premier plan, l'insistance sur les ombres, tout est fait pour incarner une sorte de symétrique visuel de la photo qui a élevé les Etats-Unis au rang de puissance spatiale en 1969. La référence n'a toutefois pas simplement un rôle humoristique: elle permet à la marque Royal Enfield de se poser comme l'analogue exact des USA en termes de puissance et de contrôle de l'espace: ce que seule la puissance américaine a su accomplir dans le domaine de la conquête spatiale, seule la marque Royal Enfield peut l'effectuer dans le domaine de l'expérience motocycliste. On est bien ici dans la notion de conquête mythique: la moto ne permet pas uniquement de transcender les limites spatiales, elle effectue une conquête, une appropriation de l'espace. Cela confère un charisme non négligeable à l'image de la moto de façon générale, associée implicitement ici à une fusée, engin admiré par excellence, et bien entendu à la marque étudiée ici; d'autant que le drapeau américain est remplacé sur l'affiche par son analogue mettant Royal Enfield à l'honneur, au centre de l'image pour attirer le regard. On reconnaît en effet les couleurs rouge et bleu du drapeau américain, mais cette fois avec l'inscription "Royal Enfield": texte et image se combinent pour assurer à la marque l'admiration qu'elle mérite. Cela est enfin renforcé par le slogan lui-même, "2007 Himalayan Odyssey": non seulement l'Himalaya est composé entre autres du Mont Everest, sommet mythique par excellence permettant d'effectuer une référence "terrestre" à la capacité qu'ont les motos Royal Enfield d'atteindre n'importe quel endroit de l'univers, mais en plus la publicité renvoie à l'Odyssée, le récit grec mythique du voyage d'Ulysse.
Cette publicité inscrit donc son objet, la moto, dans une tradition pluri-millénaire d'épopée sans limite synonyme de courage et de contrôle. Combiner événements fictionnels comme l'Odyssée et évenements historiques comme celui qui sous-tend la composition même de l'affiche permet de conférer une sorte d'atmosphère mythique complète à la publicité, d'assurer une sorte de manipulation totale et entière des cadres de référence du spectateur, comme pour indiquer que rien ne peut échapper à celui qui roule en Royal Enfield. Il est en ce sens intéressant de souligner enfin que l'ombre de l'astronaute ainsi que la moto elle-même sortent du cadre de la publicité, comme pour suggérer que l'affiche elle-même ne saurait symboliquement incarner une quelconque limite à l'expérience motocycliste.


c) Au nom du Père motard, de son Fils motard et du Saint Esprit de la moto: par-delà les limites temporelles
S'il semble clair que l'espace ne représente pas un obstacle fondamental pour qui possède une moto, une dernière limite que nous pourrions étudier est celle imposée par le temps. De fait, nul n'étant immortel, comment les publicités pour la moto parviennent-elles à faire face à ce tragique métaphysique? En quoi la moto serait-elle une réponse valide au désir mythique de s'affranchir du temps? C'est ce à quoi s'attaque la publicité ci-dessous pour Harley Davidson:


http://news.motorbiker.org/blogs.nsf/dx/ads-harley-davidson-spirit---baby-and-tattoo.htm

En un sens, cette publicité suggère que la réponse se trouve dans la notion de génération. Si le motard doit périr, sa passion pour la moto peut elle survivre, en la transmettant à sa descendance. C'est un thème extrêmement présent dans le marketing de la moto, comme le montre par exemple cette autre affiche, dont le slogan est "the new generation has arrived", "la nouvelle génération est arrivée":


http://www.funpic.hu/en/categories/cars-motors/26650_the-new-generation-has-arrived

Nous nous concentrerons sur celle pour Harley Davidson, dans la mesure où elle soulève de nombreux points fondamentaux sur cette question.
Tout d'abord, c'est un enfant qui est au centre de l'affiche, structurellement et symboliquement. Il incarne donc ici la véritable permanence de la passion pour la moto. Il existe sur l'affiche comme une sorte de réceptacle d'une tradition motarde qu'il fait perdurer. Cela se remarque par l'action qu'il effectue, à savoir celle de s'appliquer des tatouages pour imiter ceux qu'ont habituellement les motards plus âgés. L'affiche a en ce sens un aspect humoristique et attendrissant, puisque les tatouages en question ne sont que temporaires et proviennent visiblement des dizaines de chewing-gums qui jonchent le sol de la chambre: c'est donc toujours à un enfant que l'on a affaire, à un petit garçon qui agit ici comme tel. Toutefois, on pourrait noter qu'il se pose lui-même ces tatouages, signe en quelque sorte de l'indépendance idéalisée des motards qu'il parvient à faire perdurer. Ce n'est donc pas tant la moto comme objet, comme entité physique qui importe ici, mais plutôt un ensemble de valeurs, de symboles, de notions abstraites liées au monde qu'elle représente, qu'on pourrait appeler "style", mais que la publicité, dans son slogan, choisit d'appeler "spirit", "esprit". "L'esprit Harley" est à comprendre alors comme ce qui transcende le physique, et donc le temporel, comme ce qui perdure de génération en génération en se transmettant de motard en motard. Suggérer que l'on peut "naître avec", comme l'indique la deuxième partie du slogan "you're born with it", permet alors d'effectuer deux choses: tout d'abord, elle implique directement le spectateur par l'utilisation du pronom "you", et suggère donc que n'importe qui peut se reconnaître dans le personnage sur l'affiche, que chacun peut sentir vibrer en lui l'esprit Harley. De plus, cette phrase signifie presque que chacun possède cet esprit dans son patrimoine génétique, qu'il fait intégralement partie de son être comme quelque chose qui lui a été directement transmis par ses parents. C'est ici que le physique et le méta-physique se rejoignent: les tatouages de l'enfant sont certes temporaires, mais représentent, sur son corps, la présence de valeurs qui lui ont été transmises, d'une partie de lui qui le dépasse. Ils sont ainsi l'extériorisation d'un esprit impalpable directement mais qui existe à l'intérieur de l'enfant.
Ce n'est donc pas un hasard si la figurine qui se tient au-dessus de la caisse de jouets représente un adulte sur une moto. L'objet même effectue la fusion temporelle décrite ci-dessus: c'est un jouet, objet d'enfant par excellence, qui représente un adulte, tourné directement vers l'enfant et peint dans des tons bleus qui font directement écho aux vêtements du garçon ainsi qu'à plusieurs de ses tatouages. Le lien temporel est renforcé ici par un lien esthétique. Ceci est d'autant plus vrai que les tons chromatiques de l'affiche donnent l'impression d'une photo prise il y a plusieurs décennies, ce que la figurine même du motard semble confirmer. Toutefois, les codes visuels, comme les tatouages, sont aisément compris par tout spectateur, comme si rien n'avait changé entre l'époque en question et la nôtre. Le "you" du slogan est donc clairement intemporel, applicable à tout individu à travers les époques, signe à nouveau que, dans le monde de la moto, l'obstacle temporel n'en est pas un.


II: La moto est ses stéréotypes: détourner pour mieux vendre
a) Faire du cheval et cheval de fer: humour et stéréotypes

S'il est clair que les publicités cherchant à vendre des motos se concentrent sur des aspects mythiques du produit, il est à présent à noter que motos et motards apparaissent sous un tout autre angle dans des publicités cherchant à vendre d'autres entités, et non uniquement des motos. De fait, il semble qu'un glissement dans la présentation des motos s'effectue, du mythe vers le stéréotype. On appellera "stéréotype" une "caractérisation symbolique et schématique d'un groupe qui s'appuie sur des attentes et des jugements de routine", pour citer le dictionnaire Larousse. En effet, on cherchera à montrer que les publicités pour d'autres produits que les motos ne tentent en rien de modifier l'image que le spectateur pourrait avoir des motards, mais s'appuient au contraire sur des caractéristiques classiques immédiatement perçues comme telles par celui qui les voit, souvent afin d'éroder l'aspect purement mythique et de créer alors un décalage plus ou moins frontal avec l'objet de la publicité. C'est ce que l'affiche ci-dessous pour le PMU met bien en avant:

http://adsoftheworld.com/media/outdoor/pmu_biker

Sur cette affiche, tout est fait pour que les spectateurs reconnaissent directement le motard en tant que stéréotype de lui-même, principal ressort comique de cette publicité: il a des cheveux longs, un bandana rouge qui se détache clairement sur l'image, des tatouages sur des bras musclés, de nombreuses bagues, ainsi qu'un haut et des bracelets en cuir. Toutefois, ce personnage ne semble pas entièrement hors de son domaine: on retrouve l'impression de vitesse et de contrôle de l'espace associés à l'univers des bikers, que les cheveux dans le vent ainsi que le portefeuille "volant" du motard représentent de façon humoristique. De plus, sa position n'est pas sans rappeler celle des motos de type "chopper", comme si une parfaite adéquation entre les deux univers présents sur l'affiche était atteinte. Cela est en accord avec le propos général de la publicité, et en particulier son slogan : "Now everyone can play the horses", "A présent, tout le monde peut faire des paris hippiques". Cela suggère que ce genre de paris n'est plus réservé à une élite ou à une guilde de spécialistes: bien au contraire, et grâce au produit "Bet spot", n'importe qui, même ceux qui sembleraient à première vue diamétralement opposés à ce genre de pratiques, peuvent y prendre part. En ce sens, le choix d'un motard n'est pas si anodin que ça. De fait, on peut considérer que le motard n'est autre que le cavalier des temps modernes; parler de "monture" pour désigner une moto n'est pas si rare que cela de nos jours. Ainsi, ce personnage sur l'affiche représente exactement le mouvement suggéré par le slogan: si le spectateur pouvait penser qu'il n'était pas fait pour les paris hippiques, la publicité lui fait se rendre compte qu'il se trompait, tout comme ce même spectateur pouvait penser que le motard n'avait absolument rien à faire sur cette affiche, avant de se rendre compte du parallèle possible avec la figure du cavalier. La structure même de la publicité suggère cela: le mot "everyone" est directement situé au-dessus de la figure du motard, afin de faire de ce personnage l'incarnation du message publicitaire en question: "Bet spot" s'adresse à tout le monde, y compris ceux qui pensaient n'avoir aucun point commun avec ce domaine.


b) Harry Potter à l'école des motards: révéler l'adulte dans un monde pour enfants
S'il est alors clair que le stérérotype du motard a une fonction très fortement humoristique dans le domaine de la publicité, on peut aussi remarquer qu'il permet de conférer une dimension "adulte" à des produits qui ne la comportent pas forcément. On a alors affaire à un processus similaire à celui décrit plus haut pour l'affiche de Harley Davidson et la notion de génération, à la seule différence que l'objet mis en avant s'adresse dans ce cas-ci a priori à un public d'enfants: l'objectif est alors d'élargir le public-cible pour intéresser des adultes. Cela se voit très clairement avec l'affiche ci-dessous pour l'édition américaine du livre Harry Potter:

http://news.bbc.co.uk/cbbcnews/hi/pictures/galleries/newsid_3140000/3140852.stm

On retrouve directement un stéréotype visuel du motard, avec sa veste en cuir et ses multiples tatouages, accompagné d'une moto "chopper" typiquement américaine puisque il s'agit ici d'un public américain. La photo de l'homme est prise en contre-plongée, afin d'augmenter l'impression de grandeur et de charisme du personnage, d'insister sur l'effet "mauvais garçon, "bad guy", pour citer le texte de l'affiche. De plus, le motard se situe sur la même bande verticale que la pile de livres, comme si le motard provenait directement du monde d'Harry Potter, preuve imparable que ce dernier ne s'adresse pas qu'à des adolescents.
On a donc affaire à une forme de combat de stéréotypes: contre les idées reçues selon lesquelles les livres Harry Potter sont uniquement destinés à des enfants et ne représentent aucun intérêt pour un public adulte, l'affiche étudiée ici présente ses propres stéréotypes qui appartiennent à un univers perçu comme moins enfantin. Cela permet de conférer une nouvelle aura aux romans, ce que le texte même sur l'affiche suggère.
En effet, on peut directement lire sur l'affiche "Flying cars. Fire Whiskey. Death Eaters", qu'on peut traduire par "Des voitures volantes. Du whiskey enflammé. Des Mangemorts". Ces trois éléments appartiennent de fait à l'univers du livre et en représentent des aspects plus spécifiquement "adultes". Placer les "voitures volantes" en tête de liste crée un lien texte-image percutant avec la moto de l'affiche et renforce la cohérence du propos. En plus de cela, les trois thèmes sont énumérés de façon particulièrement directe grâce à des structures nominales, donc sans verbe, ce qui leur confère une forme de radicalité charismatique non négligeable. Le texte en bas de l'affiche complète bien cette idée: "There's some pretty tough stuff in Harry Potter – bad guys so bad they're called Death Eaters. That's only one of the wicked reasons even bikers think Harry Potter is cool enough to ride with them", qu'on peut traduire approximativement par: "Il y a des trucs qui sont plutôt pour les durs dans Harry Potter: de sales types qui le sont à un tel point qu'on les appelle des Mangemorts. Ce n'est que l'une des raisons de fou pour lesquelles même les motards considèrent qu'Harry Potter est suffisamment cool pour rouler avec eux". On a donc affaire, dans un style imitant le langage oral avec plus ou moins de succès, à une présence textuelle des motards qui vient renforcer leur présence visuelle, afin de faire de cette publicité un univers combinant autant que possible le monde de la moto avec celui du roman en question. Reste à espérer que la magie opère.


c) "Femme au volant, stéréotype au tournant": sécurité et retournement complet des codes
Pour terminer sur l'emploi publicitaire des stéréotypes, une vidéo intéressante serait celle pour la compagnie d'assurance anglaise Aviva, dans la mesure où elle s'attaque aux grands rapports mythiques évoqués plus haut entre moto et danger, ainsi que motos et femmes:
http://www.youtube.com/watch?v=ctkQRt2HzIE
Le ton est immédiatement donné grâce à la vue en contre-plongée des premières secondes, qui rend le personnage du biker – à nouveau immédiatement reconnaissable comme tel – particulièrement impressionant, tout en virilité. Toutefois, le spectateur comprend qu'il va avoir affaire à un détournement humoristique du stéréotype dès qu'il entend la voix plutôt douce et amicale du motard. On entre alors dans un univers tout autre que celui imaginé, où l'affabilité du personnage devient centrale et permet de créer une atmosphère de sécurité qui est l'objet même de la publicité, puisque celle-ci met en avant une application pour téléphone en rapport avec une assurance automobile.
Ainsi, tous les comportements de l'homme représentent l'inverse radical de ceux associés stéréotypiquement aux motards: il est souriant, calme, poli, comme le montre le fait qu'il laisse passer une personne agée à la 11e seconde, le tout sur un fond de musique classique, ouvertement opposé à la musique rock à laquelle on aurait pu s'attendre, et qui représente une forme d'urbanité et de distinction permettant à la fois d'améliorer l'image du motard et celle du produit mis en avant dans ce spot. En ce sens, il n'est pas surprenant que les commentaires sous la vidéo rédigés par l'entreprise elle-même le décrivent comme: "a Hell's Angel style biker who turns out to be a real safe driver", "un biker dans le style des Hell's Angels qui se révèle être un conducteur très prudent". Les Hell's Angels étant des motards américains des années 60 connus pour leur racisme et leurs crimes variés, on comprend clairement que l'on a ici affaire à un retournement absolu des préjugés, pour re-créer une image plus positive du biker et de ce à quoi il est associé dans le spot.
De plus, il était déjà étonnant, bien que cohérent avec le système inversé de la publicité, que ce motard conduise une voiture, mais cela est renforcé par la fin de la vidéo montre bien une moto, mais conduite par la femme du personnage principal. C'est donc un double retournement qui est présenté, avec en son centre un clin d'oeil aux conceptions genrées du monde de la moto, selon lesquelles seuls les hommes pourraient conduire un engin perçu comme l'archétype de la virilité. Ici, c'est bien la femme qui prend les commandes, tandis que son mari explique, sur un ton humoristique: "you'll never see me ride one of them things!", "vous ne me verrez jamais conduire un de ces trucs!". Il renforce donc, d'un côté, l'idée selon laquelle la moto est synonyme de danger, mais, au vu du système de la publicité, il semblerait que l'atmosphère de sécurité mise en avant se transmette même à la moto, contaminant ainsi, de façon positive, les représentations qui lui sont associées. Moto et sécurité main dans la main; c'est le monde à l'envers, mais ça vend bien.


Conclusion
Représenter motos et motards dans des publicités présente ainsi un intérêt non négligeable: ils incarnent aussi bien des idéaux que des préjugés directement perçus comme tels par le spectateur, potentiellement membre de la clientèle-cible, qui trouvera du plaisir dans la reconnaissance de valeurs mythiques ou dans le décodage de stéréotypes manipulés et détournés. En tous cas, il semble que l'on ne puisse se détacher de l'aura charismatique que le monde des deux roues dégage et qui se transmet immédiatement à l'objet mis en vente. Ainsi, même lorsqu'ils sont présentés avec humour ou ironie, motos et motards servent toujours une intention commerciale très nettement ancrée dans le système publicitaire. Clairement, dans l'univers de la publicité, la moto n'a pas fini de faire p'Harley d'elle.


Retour Haut de Page