Moto et littérature

Mathilde Le Clainche

L'imaginaire entourant la moto passe également par les récits dont elle fait l'objet: certains peuvent être vus comme une branche de la littérature de voyage, tandis que d'autres interrogent les représentations des motards. Cette sélection d'ouvrages, du récit autobiographique au texte aux accents philosophiques, offre un petit aperçu de la manière dont la moto peut être source d'inspiration.


• Raconter son voyage en moto, entre récit d’aventures et récit de voyage

Le récit d’un voyage à moto peut s’allier à la passion pour la littérature : c’est le cas dans l’ouvrage de Ted Bishop, Riding with Rilke: Reflections on Motorcycles and Books (New York: Norton, 2006). Ted Bishop est un auteur canadien qui enseigne à l’université d’Alberta. Ce texte raconte son voyage d’Edmonton à Austin sur une moto Ducati. Tout en évoquant les paysages de l’Ouest américain, l’auteur mentionne notamment D.H. Lawrence et Virginia Woolf, le but de son voyage étant un travail de recherche sur Jacob’s Room à l’université d’Austin. Ainsi, l’autobiographie constitue un genre privilégié pour évoquer la moto, et certains ouvrages sont de plus caractérisés par leur dimension historique, comme Adventures of a Despatch Rider (Edinburgh: W. Blackwood, 1915) de W.H.L. Watson, qui raconte l’expérience de l’auteur en tant que messager à moto durant la Première Guerre mondiale (le texte intégral : http://www.gutenberg.org/etext/16868), Travelling with Mr Turner (High Wycombe: Panther, 2011) de Nigel C. Winter, qui retrace le voyage de la Cornouailles à l’Ecosse entrepris en 1953 par Edward Turner, ingénieur et créateur des motos Triumph, dont celle de Marlon Brando dans The Wild One, ou encore Traveling with Che Guevara: the Making of a Revolutionary (London: Pimlico, 2003) d’Alberto Granado, qui décrit les voyages de l’auteur avec Che Guevara en Amérique latine et qui a notamment inspiré le film The Motorcycle Diaries. Un film fut également réalisé à partir des vidéos de Robert Edison Fulton Jr., qui entreprit un voyage qu’il raconte dans One Man Caravan (New York: Harcourt Brace and Co, 1937) : cet inventeur et photographe partit de Londres pour rejoindre Tokyo sur une moto Douglas, entre 1932 et 1933.

Ces adaptations soulignent l’aspect visuel des récits qui mettent en scène les paysages. Bien que les espaces nord-américains soient souvent la toile de fond des récits de voyage à moto, l’ouvrage de Chris Scott, Desert Travels: Motorbike Journeys in the Sahara and West Africa (London: Travellers’ Bookshop, 1996) décrit les paysages d’Afrique, tout comme Running with the Moon (London: Heinemann, 1995) de Jonny Bealby qui, en outre, fait du voyage à moto une expérience cathartique : l’auteur  part en effet à l’aventure sur sa moto Yamaha Tenere après la mort de sa fiancée. La dimension cathartique semble être une caractéristique de certains de ces récits de voyage, dans la mesure où on la retrouve notamment dans le texte de Neil Peart, Ghost Rider: Travels on the Healing Road (Toronto: ECW Press, 2002), dont le sujet est le voyage de l’auteur, musicien canadien, à travers les espaces d’Amérique du Nord et d’Amérique centrale après la mort de sa fille, ou encore dans Uneasy Rider: Travels through a Mid-life Crisis (London: Ebury, 2008) de Mike Carter, qui raconte un voyage de six mois à travers l’Europe, entrepris après un  divorce afin de sortir de la crise de la quarantaine. Le voyage à moto est aussi parfois l’objet d’un récit aux accents initiatiques, notamment dans Storm: a Motorcycle Journey of Love, Endurance, and Transformation (San Francisco: Travelers’ Tales, 2000) d’Allen Noren : ce récit autobiographique conduit l’auteur à explorer les paysages des alentours de la mer Baltique sur une moto BMW tout en évoquant les relations de couple. On peut également citer d’autres récits de voyages comme Zero to Sixty: the Motorcycle Journey of a Lifetime (San Diego: Harcourt Brace and Co, 1997) de Gary Paulsen, où l’auteur raconte comment, alors qu’il approche des soixante ans, il décide de relier le Nouveau Mexique à l’Alaska sur une Harley-Davidson, ou encore Old Man on a Bike (London: Friday, 2008) de Simon Gandolfi, le récit de voyage d’un septuagénaire qui traverse l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale en cinq mois sur une petite moto Honda 125cc. Une des références pour les récits autobiographiques de voyage à moto est Jupiter’s Travels (London: Hamilton, 1979) de Ted Simon : ce journaliste britannique a fait le tour du monde sur une moto Triumph Tiger 100 et son ouvrage a notamment inspiré celui d’Ewan McGregor et Charley Boorman, qui racontent leur tour du monde à moto, de Londres à New York, en passant par l’Europe et l’Asie, dans Long Way Round: Chasing Shadows across the World (New-York: Atria Books, 2004), ouvrage également associé à une série télévisée documentaire qui a été créée pour suivre les deux motards sur les routes.


• Récits de femmes à moto : la moto comme vecteur de liberté ?

Through Algeria and Tunisia on a Motor-bicycle (London: Jonathan Cape, 1922) de Lady Warren est l’un des premiers récits de voyage à moto écrits par une femme (le texte intégral: http://archive.org/details/throughalgeriatu00warr). En 1935, c’est Theresa Wallach qui débute un voyage dont elle fait le récit dans The Rugged Road (High Wycombe: Panther, 2001) : avec son amie Florence Blenkiron, elle va de Londres au Cap en traversant le Sahara sur une moto Panther. Des ouvrages plus récents explorent également la thématique du voyage à moto, notamment Une demoiselle sur une moto (Paris : Flammarion, 1973) d’Anne-France Dautheville et Lois on the Loose: One Woman, One Motorcycle, 20,000 miles across the Americas (New York: Thomas Dunne Books, 2007) de Lois Pryce, journaliste, qui raconte son voyage de l’Alaska à l’Amérique du Sud. C’est du New Jersey que part Karen Larsen pour rejoindre l’Alaska dans Breaking the Limit: One Woman’s Motorcycle Journey through North America (New York: Hyperion, 2004), où le voyage à moto est notamment motivé par la recherche de son père biologique. Gasoline Gipsy (New York: Crowell, 1953) de Peggy Iris Thomas est un autre récit de voyage autobiographique, qui suit cette fois la protagoniste aux Etats-Unis, au Mexique et au Canada sur sa moto Bantam surnommée ‘Oppy’, en compagnie de son airedale Matelot. Dans Kiwis Might Fly (London: Bantam Books, 2004), Polly Evans sillonne la Nouvelle-Zélande à moto et fait auparavant le récit de son apprentissage de la moto dans le Derbyshire: « Motorbikes are like twitchy, thoroughbred racehorses or large dogs with big teeth: it’s not a good idea to let them know that you’re scared. They can sniff out fear at a hundred paces. » (Polly Evans, Kiwis Might Fly. London: Bantam Books, 2004). Cet engouement pour la moto est analysé par Melissa Pierson Holbrook dans The Perfect Vehicle: What it is about Motorcycles (New York: Norton, 1997), où elle revient aussi sur l’histoire de la moto: « A motorcycle becomes an extension of yourself, your body and faculties and hopes and pathologies » (Melissa Holbrook Pierson, The Perfect Vehicle: What it is about Motorcycles. New-York: Norton, 1997).


• Quand la poésie met en scène la moto

La moto peut également parfois être une source d’inspiration pour les poètes, dont Diane Wakoski, Américaine proche de la « Beat generation », qui a publié The Motorcycle Betrayal Poems (New York: Simon and Schuster, 1971) dont fait partie ‘Uneasy rider’, un poème qui offre une représentation du ‘biker’ : http://www.poetryfoundation.org/poem/175999 . La moto est également mise en scène par Ted Hughes dans son poème ‘A Motorbike’ (Collected Poems. London: Faber and Faber, 2003). Tandis que le texte de Ted Hughes est ancré dans le contexte de l’après-guerre, c’est à l’univers de la contre-culture que se rattache ‘On the Move’ de Thom Gunn (The Sense of Movement. London: Faber and Faber, 1957) : poète anglais, Thom Gunn est d’abord rattaché au ‘Movement’. Lorsqu’il s’installe à San Francisco, il se rapproche de la contre-culture et ses textes reflètent ce nouvel environnement. En évoquant la moto, ce poème s’inspire également de l’atmosphère de The Wild One.


• Les années 60 et la moto

C’est la Californie des années soixante qui est rattachée à l’ouvrage de Hunter S. Thompson, Hell’s Angels: a Strange and Terrible Saga (New York: Random House, 1967). Ecrivain et journaliste américain, Hunter S. Thompson écrit un article sur les Hell’s Angels avant de passer un an avec le groupe. Il publie par la suite ce livre racontant son expérience, à mi-chemin entre le journalisme et la littérature, illustration parfaite du journalisme gonzo.


• Moto et philosophie

L’ouvrage de Robert M. Pirsig, Zen and the Art of Motorcycle Maintenance (New York: Morrow, 1974) fut un grand succès dès sa sortie et reste une référence. Dans cet ouvrage en partie autobiographique, le voyage du narrateur avec son fils de Minneapolis à la Californie est l’occasion d’une réflexion philosophique guidée par le thème de la moto et de son entretien. « In a car you’re always in a compartment, and because you’re used to it you don’t realize that through that car window everything you see is just more TV. You’re a passive observer and it is all moving by you boringly in a frame. « On a cycle the frame is gone. You’re completely in contact with it all. » (Robert M. Pirsig, Zen and the Art of Motorcycle Maintenance. New-York: Morrow, 1974).


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