Moto et Jeux Vidéo

Isabelle Guillaume

Si le cinéma vit depuis les années 50 une histoire d'amour avec la moto, ce n'est qu'à l'ère du jeu vidéo que le spectateur quitte sa passivité et se substitue aux acteurs. La moto, dans l'imaginaire collectif, est symbole d'action et d'indépendance, et il semble tout naturel de la voir intégrer ce monde vidéoludique qui offre au joueur d'occuper le premier rôle, de se faire héros. Mais elle peut aussi être prétexte à une réflexion sur le genre, dans la mesure où la place de la motarde, comme celle de la joueuse, reste profondément ambiguë dans ces domaines associés à une certaine vision de la masculinité.


Les jeux d'arcade

Le jeu vidéo à ses débuts se pratiquait surtout en salle d'arcade. Ces centres de jeu, qui ont connu leur heure de gloire entre la fin des années 70 et le début des années 90, étaient équipés de nombreuses machines permettant chacune de jouer à un jeu en particulier, à un ou deux joueurs, selon un système de paiement à la partie. Les bornes d'arcade sont conçues spécialement pour un jeu particulier ; l'interaction avec la machine peut donc passer par différents équipements selon le type de jeu (pistolets factices, volants de voiture, etc).
On trouve évidemment bon nombre de jeux de course à moto, pour lesquels le joueur est invité à s'assoir sur une réplique de moto sur support mobile. Il s'agit donc de procurer un sentiment d'immersion maximal, de répliquer l'intensité d'une course de moto – cependant il est clair que ces simulations ne s'adressent pas d'abord aux connaisseurs. L'idée est bien de jouer à faire semblant, en adoptant physiquement la posture approximative du coureur professionnel, sans que l'on ait besoin de savoir quoi que ce soit sur le sujet. De plus, la majorité des jeux montrent à l'écran le personnage sur sa moto (vue à la troisième personne) plutôt que de montrer ce que verrait le personnage  depuis sa position actuelle (première personne) : l'immersion repose donc bien sur un effort d'imagination de la part du joueur, et pas uniquement sur le réalisme du jeu. En fait, ce qu'on voit à l'écran rappelle les diffusions télévisées de courses de moto, de sorte que le joueur reste toujours en même temps spectateur.

 


Les jeux de simulation de course sur console/ordinateur :

En plus des jeux d'arcade, on trouve de nombreuses simulations de course sur des supports destinés aux particuliers (consoles de salon ou ordinateur). Le jeu Excitebike, développé par Nintendo et sorti en 1984 sur NES, est l'un des pionniers du genre. Au fil des années, l'industrie du jeu vidéo a connu une spectaculaire avancée technique, ce qui permet à des jeux récents de proposer un graphisme beaucoup plus réaliste, ainsi qu'un meilleur rendu de la physique et de la vitesse. En comparant les deux jeux, on constate à quel point les choix régissant la façon dont on va représenter la course diffèrent avec l'époque. Une modification notable porte sur le choix du défilement ; Excitebike est en défilement horizontal, tandis que les jeux récents, par exemple Moto GP 13, adoptent toujours un parti-pris de défilement vertical (en plaçant l'hypothétique « caméra » dand le dos du personnage). Ce changement permet de répliquer le défilement du paysage tel que l'on peut le ressentir sur la route. La présence d'un compteur de vitesse, les bruits de moteur, les effets de fumée sont autant d'indices qui montrent à quel point les jeux actuels tablent sur une représentation spectaculaire de la moto, où les notions de maîtrise technique et de performance extrême entrent en compte pour le joueur.

http://en.wikipedia.org/wiki/Excitebike
http://www.pcworld.fr/jeux-video/tests,test-motogp-13-milestone,539865,1.htm


Extraits vidéo :
• Excitebike : http://www.youtube.com/watch?v=543dG0EWcYM
• Moto GP 13 : http://www.youtube.com/watch?v=FyKndNp1vT0


Rival Schools : United by Fate (Capcom, 1997, Playstation) 

Il s'agit d'un jeu de combat (au sens de bagarre) conçu pour un ou deux joueurs, où chacun incarne un personnage dans une série de matches. La plupart du temps, le genre ne brille pas par la profondeur de son scénario ; néanmoins on dispose toujours de bribes d'informations sur les personnages, leur passé et les raisons de leurs dissentions.
L'un des personnages jouables, Akira, est une jeune fille amatrice de moto. Elle se dissimule sous sa combinaison et se fait passer pour un homme afin de pouvoir intégrer l'école de garçons dans laquelle son grand frère est scolarisé, afin de déterminer la cause de sa disparition. Au début du jeu, elle est jouable uniquement avec son casque : comme Akira est un prénom mixte en japonais, le joueur est lui aussi amené à penser qu'il s'agit d'un garçon (d'autant que les autres personnages féminins sont typiquement dénudés et/ou sexualisés). La moto est ici le symbole d'un univers genré qui influe sur la perception du personnage. Le livret accompagnant le jeu décrit Akira comme brutale et violente lorsqu'elle porte son casque, mais douce et timide dès qu'elle l'enlève ; de même, en finissant le jeu en mode histoire, on assiste à une cinématique au cours de laquelle le personnage change radicalement de façon de parler et se met à employer des inflexions et expressions qui dans la langue japonaise sont exclusivement réservées aux femmes, alors qu'elle parlait comme un homme au début du jeu. Cette schizophrénie est-elle le reflet d'une incompatibilité supposée entre féminité et  mécanique ?

http://capcom.wikia.com/



Extraits vidéo :
• Cinématique de début à 0:30 : http://www.youtube.com/watch?v=wCQ4Gd6iaEI
• Séquence jouable à 12:05, cinématique de fin à 13:40 : http://www.youtube.com/watch?v=tjeH7YOV5tU

 


Final Fantasy VII (Square, 1997, Playstation)

Le septième opus de la série nippone Final Fantasy est probablement l'un des jeux vidéo les plus connus et appréciés au monde. Il appartient au genre du RPG (roleplaying game, ou jeu de rôles), c'est-à-dire que le joueur contrôle un héros et son groupe de coéquipiers afin d'explorer l'univers qui l'entoure et avancer dans l'intrigue. Typiquement, ce genre de jeu comprend deux phases : exploration et combat au tour par tour (on choisit les actions depuis un menu). Il ne s'agit donc pas d'un jeu d'action, ou de réflexes. Ces précisions sont nécessaires pour traiter de l'objet qui nous intéresse, puisque précisément, c'est l'apparition d'une moto dans Final Fantasy VII qui va venir bouleverser temporairement les mécaniques de gameplay décrites plus haut. Pour s'échapper d'un bâtiment ennemi, le groupe vole une moto et une camionnette, ce qui donne lieu à une séquence de course-poursuite (temps réel, défilement vertical) où le héros doit protéger le reste du groupe tandis que tout ce beau monde file sur l'autoroute, l'ennemi aux trousses. Tout fonctionne comme si la puissance symbolique de la moto (objet de puissance et de vitesse) devait obligatoirement s'accompagner d'une redynamisation des mécaniques de jeu. La présence d'une séquence cinématique (mémorable, compte tenu des limitations techniques de l'époque !) participe à la mise en avant du héros, réaffirmant ainsi le lien qui existe entre personnage unique et joueur. La moto est également étroitement liée à la notion d'urbanité puisque cette portion du jeu se déroule dans une mégalopole futuriste (contrairement à la suite, qui propose d'explorer le vaste monde, et où le moyen de locomotion emblématique n'est plus la moto mais le chocobo, une sorte d'autruche géante).

http://finalfantasy.wikia.com


Extrait vidéo :
• (séquence cinématique à 6:54, aperçu de la séquence jouable à 7:44) : http://www.youtube.com/watch?v=5Do-CvJLQHU


Metal Gear Solid 3 (Konami, 2004, Playstation 2)

Avec son gameplay novateur et ses fortes influences cinématographiques, Metal Gear Solid est la série qui a défini les codes du jeu vidéo d'infiltration. Dans ce troisième volet, le joueur incarne un agent des forces spéciales américaines, envoyé en mission secrète pour récupérer des informations au cœur d'une base ennemie, de préférence discrètement. Il s'agira aussi de survivre en terrain hostile (ici, au beau milieu de la jungle), dans des conditions souvent extrêmes. Le joueur sera aidé dans sa quête par un personnage extérieur, une femme répondant au nom de code de EVA, qui a la particularité de se déplacer à moto. Tandis que le personnage-joueur, tout en virilité et en muscles, passera des heures à ramper dans la boue et à courir les pires dangers (scène de torture comprise), EVA, blonde pulpeuse, remplira un grand nombre de tâches en un temps record, s'accordera des entrées fracassantes, et sauvera plusieurs fois la situation. La moto est ici à la fois une arme et un moyen de transport efficace, qui permet en plus à EVA de s'infiltrer dans les rangs ennemis sous une fausse identité. De plus, la séquence finale, qui consiste à détruire un tank, se fait en collaboration avec EVA. Cette dernière est aux commandes, tandis que le héros est « relégué » au side-car. On voit donc que le scénario du jeu s'amuse avec les rôles traditionnels attribués aux femmes (et aux hommes), par exemple dans les films d'espionnage. Tout comme le héros affirme explicitement être tout le contraire de James Bond, EVA s'affirme en personnage complexe ; sexualisée, parfois victime, toujours manipulatrice, elle se distingue par l'indépendance et la liberté d'action que lui assure son amour de la moto.

http://image.jeuxvideo.com/extraits-images/200805/metal_gear_solid_3_snake_eater_ps2-00000431-low.jpg
http://www.imfdb.org/images/thumb/2/20/MGS3ZU-23.jpg/500px-MGS3ZU-23.jpg




Extraits vidéo :
• Cinématique à 06:45 : http://www.youtube.com/watch?v=GVHR8gDR1a4
• Séquence jouable : http://tinyurl.com/pcgqtpf


Mario Kart Wii (Nintendo EAD / Nintendo, Wii, 2008)

Mario, le plombier le plus célèbre de l'histoire du jeu vidéo, a connu de nombreuses aventures au fil des déclinaisons de la franchise par Nintendo. Notamment, la série des Mario Kart propose au joueur d'incarner Mario et d'autres personnages issus du même univers dans un jeu de course de karting. Nintendo revendiquant une image d'éditeur de jeux pour tous publics, la série s'écarte du réalisme attendu pour un jeu de course, et affirme une esthétique cartoon familiale. La version sortie sur console Wii est la première à proposer aux joueurs, outre les traditionnels karts, un large éventail de motos. Ce changement s'accompagne de quelques fonctionnalités supplémentaires en termes de jeu, comme par exemple la possibilité d'effectuer une roue arrière ou diverses figures lors d'un saut sur un tremplin, montrant encore une fois que la moto reste associée à l'idée d'une mise en spectacle, d'une démonstration d'adresse et de prise de risque. Cependant, sa présence peut paraître étonnante dans un jeu comme Mario Kart, qui veut s'adresser entre autres à un public jeune (d'où peut-être le choix du kart, au moteur de petite cylindrée et occasionnellement accessible aux enfants, par opposition à la voiture de course). En entrant dans Mario Kart, la moto perd une partie de son sous-texte de rébellion et de violence : elle devient accessible à tous, et se décline même en rose. On remarque quand même que la Princesse Peach a, pour l'occasion, troqué son éternelle robe à volants contre une combinaison de moto, signe que les personnages, eux aussi, évoluent doucement.

http://www.mariowiki.com/



Extrait vidéo (à partir de 0:15) :
http://www.youtube.com/watch?v=ABJdpIpi_xY


Brütal Legend ( Electronic Arts / Double Fine, PS3 / Xbox 360, 2009)

Brütal Legend est un jeu d'action/aventure qui se distingue par son esthétique heavy métal : la bande-son convoque de nombreux groupes iconiques du genre et vient donner corps à un univers fantastique sombre mais loufoque, truffé de références, où les développeurs s'amusent des clichés accompagnant l'univers du heavy, que les fans du genre sauront reconnaître (le protagoniste principal est un roadie qui se retrouve soudainement téléporté dans un univers où les amateurs de métal affrontent les fans de rock émo, etc.) Plusieurs célébrités ont également prêté leur voix et leur apparence aux personnages. Le jeu récite pêle-mêle tous les éléments iconiques du heavy metal, depuis les trémas du titre (référence aux groupes Motörhead et Mötley Crüe) jusqu'à l'utilisation d'une guitare-hache de guerre que le héros pourra employer pour libérer la puissance du Métal contre ses ennemis... Un peu de moto dans ce monde de brutes ? La moto, associée, comme le métal en général, à la violence et à la rébellion, y figure de façon assez inattendue (en plus d'être l'engin de prédilection du personnage calqué sur le chanteur de Motörhead) : le joueur affrontera des créatures nommées « Razorfire Boars », mélange entre un sanglier et une moto... Ici, l'idée de la moto comme engin volontiers bestial et dangereux se montre sous un nouveau jour, puisque l'hybridation du mécanique et de l'animal permet de littéraliser la métaphore en faisant affronter au héros ces motos qui se meuvent sans aide humaine et peuvent causer de gros dommages.

http://brutallegend.wikia.com/wiki/Razorfire_Boar?file=Razor_Boar_Fields.jpg



Extrait vidéo (0:20 – 0 :30) :
http://www.youtube.com/watch?v=TcUc8BsY0Bs


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